Barbara Hendricks : photo de Patrick Gauthey
Barbara Hendricks : photo de Patrick Gauthey

Cette interview a été réalisée et rédigée par SDS :

Coup de cœur en noir et blanc Sport et jazz, deux passions de cet homme discret qui se vivent intensément à travers l’un des ses deux métiers, photographe. Spécialiste de voile et d’athlétisme, c’est le jazz qui constitue le sujet de sa nouvelle exposition. Elle se termine le 26 septembre chez PhotoShop à Nice. Mais pas le jazz pour le jazz pour cette première dans le genre. Uniquement des femmes chanteuses, célèbres souvent, anonymes parfois, toutes photographiées en noir et blanc. Patrick Gauthey, qui aurait voulu être océanographe, a su saisir les émotions particulières qui se dégagent de ces femmes. Il nous invite immanquablement à prolonger ce coup de coeur en allant les voir sur scène ou bien écouter leurs musiques. Le plaisir des yeux associé à celui des oreilles. Entre deux reportages, nous avons réussi à le saisir et il s’est montré intarissable mais très prudent sur ses projets…

SDS : “Ladies jazz”, les anglophones auront compris qu’il s’agissait des femmes dans le jazz, mais pourquoi un tel titre ?
PG : Parce que j’avais écouté un disque, il y a très longtemps, qui regroupait l’ensemble des femmes dans le jazz. C’était tellement beau et puis je trouve que cela sonne magnifiquement à l’oreille. Lady, tout le monde sait ce que cela signifie et jazz c’est clair, les deux mots vont très bien ensemble.

SDS : Cela donne aussi de la noblesse aux photos, mais est-ce plus difficile de photographier les femmes ?
PG : (Hésitation) Je ne partirai pas sur ce point. Les femmes c’est beaucoup plus gracieux, au niveau des tenues, c’est plus varié que les hommes. Pas forcément plus dur à faire. Le seul problème, ce sont des chanteuses et c’est moins facile à capturer un élément significatif au niveau de l’expression. Au bout d’un moment, cela vient et c’est plus intéressant à photographier les femmes qu’avec les hommes. J’ai surtout fait cette expo car il n’y en avait pas eu uniquement avec des femmes dans le jazz.

SDS : Ce sont toutes des chanteuses de jazz que tu as rencontrées ?
PG : Il ne s’agit pas uniquement de chanteuses célèbres, je pense à des choristes, mais des femmes qui chantent oui, dans le jazz oui.

SDS : Et le jazz parce que c’est ta passion ?
PG : C’est une de mes passions, j’ai le sport et le jazz. Dans le sport je travaille sur la voile et l’athlétisme. Ici c’est un peu la musicalité d’une partie de la photo en noir et blanc que j’ai essayé de retransmettre à travers ces photos là. Les expressions chez les femmes sont beaucoup plus gracieuses (ce mot est souvent revenu), plus belles que chez les hommes dans le jazz.

SDS : Première exposition avec uniquement des femmes dans le jazz mais c’est aussi en noir et blanc. On peut avoir l’impression de retourner à “l’âge de pierre” mais tu as fait cela avec le numérique.
PG : Le noir et blanc ne signifie pas pour autant “l’âge de pierre” mais le traitement particulier de ces travaux en noir et blanc a été fait comme par le passé avec l’argentique. À la base, j’ai fait pas mal de photos en argentique et c’est cela qui était intéressant, retrouver l’époque du traitement argentique avec le numérique. On parle trop “ oui, le numérique c’est pas bien avec le noir et blanc ”. Dans plusieurs expositions à Arles (Ndlr. Siège de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie et des non moins célèbres Rencontres internationales de la Photographie) j’ai pu montrer que le numérique était au moins aussi bien, sinon meilleur que l’argen-tique. Il ne s’agit pas de faire de la technique pour de la technique, on peut montrer de l’art dans le numérique.

SDS : Tu exposes dans un magasin, PhotoShop à Nice. C’est un choix ?
PG : C’est en discutant avec Daniel, le responsable du magasin. D’abord on a parlé photo, c’est un très grand spécialiste établi là depuis 2004. Ensuite c’est devenu un ami mais il est aussi fou de jazz. Un jour il m’a proposé de faire une expo de ce que je faisais et notamment sur le jazz. Je lui ai dit “ Banco ” mais je veux choisir le thème car je ne veux pas faire du jazz pour du jazz. Il m’a donné totale liberté et j’ai choisi les femmes. Cette exposition c’est surtout histoire de se faire plaisir, le plus important dans la photo et d’en apporter au public. Un retour à la musicalité de l’image qui peut également inciter les gens à aller voir les artistes en question sur scène ou bien écouter leur discographie. Pour chaque image, j’ai une musique qui résonne dans ma tête, des souvenirs qui reviennent. Je sais quand et où j’ai pris la photo.

SDS : On parle de souvenirs. Quelle a été la femme la plus difficile à photographier et pour quelle(s) raison(s) ?
PG : Le plus difficile c’est juste un problème technique, celui de la lumière et la personne forcement bouge. Ensuite je réponds sans hésiter Joss Stone. Elle est arrivée sur scène comme une bombe et partie à toute vitesse. Ce n’est pas mon meilleur souvenir car je me suis dit que c’était une catastrophe pour les photos, tout comme mes collègues. Et puis je me suis rendu compte qu’il y avait un mouvement intéressant et j’ai poussé la sensibilité, l’Iso, pour avoir plus de grains comme pour l’argentique. Mon meilleur souvenir, ça été avec Alice Russell. On a discuté avant et après. Avec Bria Skonberg, ce fut un plaisir immense lorsque j’ai sorti la photo (il soupire de bonheur). J’ai eu – à travers elle- le sentiment d’avoir toutes les expériences photos enregistrées dans le jazz.

SDS : Tu as eu des réactions des artistes sur les photos ?
PG : C’est rigolo car j’ai plus ou moins réussi à les joindre par mail et leur dire que j’avais fait une expo avec elles. Il y en a deux qui m’ont rappelé pour me dire qu’elles trouvaient les photos magnifiques, que c’était gentil et m’ont demandé si elles pouvaient les utiliser sur leur prochain album.

SDS : On peut savoir qui ?
PG : Bria Skonberg et Alice Russell. C’est elles qui m’ont parlé de leur intention mais cela ne signifie pas que cela va se faire. Elles m’ont dit que j’avais réussi à trouver à l’intérieur des photos des expressions qui leur paraissaient assez extraordinaires et que cela leur avait beaucoup, beaucoup plu. Il y en a avec qui je n’ai pas eu malheureusement l’occasion de discuter. Nicole Henry dont j’ai choisi une photo de dos alors que j’en ai de face comme pour les autres. Les gens me posent la question, pourquoi de dos? Sa démarche sur scène était tellement extraordinaire et c’est cette photo qui m’a donné la plus grande émotion. C’est peut-être une invitation à aller découvrir ce qu’elle chante car on ne la voit pas chanter que cette photo.

SDS : J’ai vu que tu avais photographié Barbara Hendriks et cela m’a fait penser à son “clash” de cet été. Ca été facile avec elle pour toi ?
PG :Très, très facile. Elle est extrêmement gentille. La photo exposée n’a pas été prise cet été car elle date de quelques années. Mais elle a été d’une simplicité extraordinaire. J’ai eu la chance de pouvoir discuter avant le concert, elle était très disponible et très détendue lors des photos. Mais je n’ai pas eu l’occasion et la chance de lui montrer. Le temps de les sortir et Barbara Hendricks était repartie. J’espère avoir la possibilité de la revoir et de lui montrer certaines photos. Elle est extrêmement photographiée mais c’est vrai que c’est une grande dame.

SDS : Pour les photos, les artistes sont toujours prévenues ou tu agis parfois si l’occasion se présente ?
PG : En fait cela ne marche pas tout à fait comme cela. On fait des photos, comme des pros mais on a une accréditation et elles sont prévenues. Nous avons soit 3 minutes, soit 3 morceaux en général pour faire nos clichés. Maintenant il se peut que quelque chose se fasse après le concert, c’est-à-dire en interview. Là on leur demande si elles veulent bien se laisser prendre en photo. Le charme n’est pas du tout le même. Des fois elles se prêtent au jeu mais elles peuvent dire non parce qu’elles sont fatiguées et il faut les comprendre, respecter leur désir. De toutes les façons, cela se ressentirait sur les clichés.

SDS : Peut-on vivre de son métier de photographe avec le bouleversement actuel dans la photo ?
PG : Avant oui, maintenant c’est très, très dur. On a de plus en plus de concurrence avec beaucoup d’amateurs qui possèdent de très bons boîtiers. Le souci c’est que les médias proposent des prix de plus en plus ridicules qui tirent vers le bas, même si la qualité n’est pas présente. Peu leur importe la qualité, ce qu’ils veulent c’est du rendement. Bien sûr certains demandent de la qualité, mais là il faut du temps. C’est très très dur d’en vivre.

SDS : En dehors de l’exposition, ton actualité.
PG : (rires) Elle va être chargée car c’est un mois où l’on attaque “Les Voiles”.Prochainement Monaco, puis Antibes et on finit par Saint-Tropez. Entretemps, vont venir se glisser des “petites choses”, l’athlétisme, des clients… Je suis en pleine négociation pour une grande exposition, tant que ce n’est pas signé, je n’en parle pas plus. J’ai été invité pour une autre à Nuremberg où j’ai une correspondante, artiste, qui travaille pour l’Opéra de cette ville. Nous échangeons beaucoup. (Il restera très prudent sur la nature de ses prochaines expositions qui devraient le mettre vraiment en pleine lumière lorsqu’elles seront arrêtées officiellement).

Peu après cet interview, il est parti en reportage pour vivre –durant deux jours- la vie des vendangeurs qui ont commencé leur travail plus tôt à cause de la très grosse chaleur. Mais son exposition de photos “Ladies jazz” n’est pas terminée. Elle pourrait très bien compléter l’étude de la sociologue Marie Biscatto “Femmes du jazz : Musicalités, féminités, marginalisation” parue aux CNRS éditions. De son côté, il n’exclut pas une sur les hommes dans le jazz. Ses projets d’expositions ne sont pas encore finalisés mais nul doute que ce photographe, discret mais que l’on peut difficilement arrêter lorsqu’il parle de ses passions, va nous réserver des surprises encore plus grandes. Il nous a confié une photo jamais encore montrée de Barbara Hendricks.

Propos recueillis par Philippe Dejardin
Exposition “Ladies jazz” de Patrick Gauthey jusqu’au 26 septembre.

Chez PhotoShop, 24 rue Hôtel des Postes à Nice Ouverture : Lundi de 14h à 19h/Mardivendredi de 10h à 19h et samedi de 10h à 12h et 14h à 19h. Arrêt tramway : Masséna