MANIFESTE POUR INTERGÉNÉRATIONNEL
Manon LAPORTE « Générations Sacrifiées » Manon Laporte est née le 20 mars 1965 dans le 15ème arrondissement de Paris. Mère de famille, elle est mariée à Bernard Laporte, président de la Fédération Française de Rugby, et ancien Ministre des Sports (2007-2009). Avocate et docteure en droit, Manon Laporte est conseillère régionale d’Ile-de-France spéciale à l’Intergénérationnel.
Elle porte en elle au quotidien le combat de la transmission pour lutter contre inégalités et injustices qui touchent de plein fouet nos aînés et les plus jeunes. Manifeste pour l’intergénérationnel : Alors que nous traversons une crise sanitaire sans précédent, le monde se fragilise et se précarise.
30% des jeunes interrogés ont confié avoir régulièrement des pensées suicidaires. Dans le même temps, 32% des seniors n’ont plus personne à qui parler et souffrent d’isolement. Ce sentiment d’abandon commun de 38 millions de Français doit nous interroger.
Enseigner les droits et les devoirs à nos jeunes à travers les témoignages de nos aînés et défier la fatalité qui peut gangrener nos quartiers, c’est le défi qui est relevé dans ce manifeste. Entre constats et solutions d’avenir, c’est un cri du cœur pour que cette crise sanitaire n’affaiblisse pas la République mais au contraire, la repositionne comme une et indivisible.
Liberté, Egalité, Fraternité et Laïcité. Un engagement dans l’action Elevée par ses grands-parents juifs réfugiés en Sibérie avant de rejoindre la France, Manon Laporte a grandi avec le sens du devoir et l’amour de son pays. Femme de valeurs et de convictions, elle mène aujourd’hui un combat pour faire entendre la voix des générations sacrifiées en pleine crise sanitaire.
Au nom d’une jeunesse oubliée et de nos aînés méprisés, elle porte un message d’unité et de solidarité. Sa soif de parler vrai et son parcours inspirant l’ont menée sur tous les terrains pour défendre les valeurs de la République.
Manon LAPORTE
GÉNÉRATIONS SACRIFIÉES
La République en danger
MANIFESTE POUR L’INTERGÉNÉRATIONNEL
Introduction
D’aussi loin que je me souvienne, jamais les générations n’ont été autant maltraitées. De la précarisation à l’exclusion puis l’isolement, nous effaçons les traces de notre histoire commune, notre mémoire collective. Cette culture de l’opposition systématique dans les pays occidentaux est insupportable.
Trop présente, trop pesante, elle mène à affaiblir le pays tout entier : son économie, son identité et ses valeurs. Ce choix faussement stratégique mais tellement politique est un coup mortel porté à l’avenir. Opposer le pauvre au riche, la femme à l’homme, l’adulte à l’enfant, le jeune au vieux… Diviser pour mieux exister. Ou mieux effacer.
À coup sur pour mieux régner. C’est l’impression que l’on en gardera. Quel autre sentiment pourrait nous animer, quel autre argument pourrait justifier cette misère laissée sous nos yeux, ces exclusions à répétition des plus fragiles qu’on abandonne le long d’une course effrénée qu’ils ne pourront pas tenir ?
La France, presque 67 millions d’habitants. Nos jeunes et nos seniors représentent plus de 38 millions de la population. C’est plus de la moitié de la population 1. Plus de 56% de voix qu’on ne veut ni entendre ni comprendre. Je m’y refuse. La crise sanitaire mondiale que nous traversons nous a affaiblis.
Le terrain, le sens du dialogue, le partage des douleurs, l’écoute des témoignages nombreux et la recherche de solutions adaptées m’animent.
Et me gardent debout. Ce n’est pas un constat, c’est un combat. Le constat est pourtant clair, amer même : laisser nos seniors à l’abandon sous prétexte qu’étant plus fragiles, ils doivent être enfermés.
1 – Chiffres INSEE, 2019
Si, certes, on a exigé un encadrement médical renforcé, ce dernier aura isolé davantage. Ce n’est ni humain ni républicain. La première vague de la COVID 19 a emporté les plus fragiles. Départs précipités de ceux qu’on n’a plus laissé s’exprimer, sortir, sourire. Au nom du sens des responsabilités, on les a infantilisés, enfermés. Dénigrés parfois. Ce combat contre l’abandon, je le connais. Je l’ai mené. Celui d’une vie qui aura été marquée par le sentiment du délaissement. Dès mon plus jeune âge, on m’a mise de côté. Confisquée de tous repères parentaux « normaux ». De mon enfance parisienne, j’ai des souvenirs simples. Mon grand-père m’emmène à l’école et vient me chercher chaque jour. Couturiers chez eux la journée, ils confectionnent des vêtements pour le célèbre Pierre Cardin décédé aujourd’hui.
Mais leur vie paisible et laborieuse a été quelque peu bousculée par mon arrivée imposée. Loin de la Haute Couture et des codes de la société bourgeoise, on s’adapte. Les contraintes nous apprennent à survivre et à trouver des solutions au quotidien. Mes grands-parents se sont retrouvés de nouveau parents. A leurs côtés, j’ai appris l’instinct de survie et la soif d’apprendre. Ils ont traversé l’horreur du nazisme et, chassés par les Polonais, ils ont du se reconstruire tout en assumant d’être juif à une époque où cela signait un arrêt de mort quasi certain. Ce parcours de fuite d’un régime autoritaire pour retrouver une vie normale sans repère et sans famille m’inspire aujourd’hui encore. Ils se sont réfugiés en Sibérie. Je me souviens encore que ma grand-mère ne pouvait plus supporter d’entendre la langue allemande. Traumatisée par des séquences qu’elle peinait à raconter, on sentait combien tout ce qui touchait à cette période lui rappelait souffrance et injustice.
Toute ma vie, j’ai été animée par ce combat : celui contre les souffrances et les injustices. Dès l’enfance, j’ai voulu conjurer le sort, ne pas céder à la défaite et rendre fiers mes grands-parents mais aussi m’affirmer en tant que femme. J’ai toujours cru au travail et aux valeurs qu’il véhiculait. Il n’y a pas de fatalité. Je sais que l’unité et la solidarité sont porteuses d’espoir et mènent à la réussite. De mon histoire, j’ai voulu garder le courage de ceux qui affrontent le destin pour me permettre d’en avoir un. Très attentive à ce que mes grands-parents me donnaient, peu mais tant à la fois. J’ai très vite su et compris qu’il fallait que je fasse perdurer leur histoire à travers mes engagements. Dans le même temps, il me fallait aussi apprendre à avancer seule pour m’affirmer et m’adapter à la société.
Apprendre à leurs côtés et rester déterminée. Parce que chez nous, on n’abandonne pas. On va au combat. Connaître son histoire, c’est aussi une chance pour l’avenir. S’entendre raconter une époque où nous n’étions pas nés, ces méthodes d’un autre temps, ces mots oubliés, ces habitudes effacées, cet autre monde dont bientôt les témoins seront absents a été une force. Aujourd’hui, on ne cherche plus à s’adapter au vieillissement de la population mais on exige de nos seniors qu’ils prennent nos habitudes et qu’ils montent très vite dans le train express de la modernité de la génération dite Y. Celui-là même qui déshumanise, désolidarise et parfois détruit tant il écrase avec lui à une vitesse affolante toutes les marques de sécurité, les repères d’identité et les habitudes qui sécurisaient. Dans le même temps, on fait face à la même incompréhension chez les jeunes qui se sentent éloignés de l’histoire de nos aînés.
Ils sont demandeurs de ces repères d’un temps qui leur semble trop lointain et si peu familier et qui, pourtant est nécessaire à leur évolution et projection dans la vie. Il y a un enjeu majeur incontestable pour toutes ces générations qui, ensemble, sont sources de développement économique, culturel et social tout en permettant le relai des valeurs républicaines. C’est cette question fondamentale et transversale qui est abordée par ce qui est communément appelé « l’intergénérationnel ». On doit poser un (p)acte fonda(c)teur pour construire ensemble la société de demain.