Le comité Nobel a distingué le Japonais Shinya Yamanaka et le Britannique John B. Gurdon pour leurs découvertes ouvrant la voie à la médecine régénérative par thérapie cellulaire et au clonage.

Le jury du prix Nobel de Médecine a mesuré tout l’impact que devraient avoir à l’avenir les travaux du Japonais Shinya Yamanaka et du Britannique John Gurdon qui viennent d’être recompensés. Leur recherche sur la transformation des cellules adultes en cellules souches susceptibles de régénérer les tissus de l’organisme pourrait bouleverser tout le domaine thérapeutique pour les maladies liées au vieillissement, du cancer, à l’infarctus, en passant par le diabète et la maladie de Parkinson. «Leurs découvertes ont révolutionné notre compréhension de la manière dont les cellules et les organismes se développent», écrit le comité Nobel.

John Gurdon, 79 ans, et Shinya Yamanaka, 50 ans, vont se partager une récompense de huit millions de couronnes (929.000 euros). Ces deux scientifiques, qui ne sont pourtant pas de la même génération, s’inscrivent dans la même lignée conceptuelle, en montrant que l’on peut faire remonter le temps à la matière vivante, aux cellules, les rajeunir et les transformer pour les utiliser en lieu et place des cellules vieilles et malades.

Shynia YAMANAKA et John B GURDON

Gurdon le précurseur

L’histoire commence à Oxford, il y a 40 ans, avec John Gurdon né en 1933, alors chercheur en biologie. Tout jeune doctorant, il a l’idée d’insérer le noyau (qui contient le matériel génétique) d’une cellule de l’intestin d’une grenouille albinos dans l’ovocyte du grenouille normale, vidée de son propre noyau. Il démontre, fait incroyable, que cette cellule d’intestin transformée est capable de donner naissance à une autre grenouille albinos. Ce faisant, il vient de démontrer l’extraordinaire plasticité de la biologie cellulaire.

«Cette expérience a permis de vérifier que même les cellules spécialisées comme celles de l’intestin n’ont pas perdu de séquence d’ADN et contiennent l’intégralité du génome d’un être vivant», explique le professeur Jean-Marc Lemaître (Institut de génomique fonctionnel, Inserm, Montpellier). Au total, ce précurseur a montré qu’il «était possible de reprogrammer complètement l’ADN d’une cellule adulte pour qu’il devienne identique à l’ADN du noyau de l’oeuf», note le professeur Nicole Le Douarin (Académie des Sciences). Ces travaux ont contribué également à l’avènement du clonage animal: la brebis Dolly est née de l’intégration d’une cellule de la peau dans un ovocyte, le tout réimplanté dans l’utérus maternel.

Ces expériences montrant que les cellules adultes gardaient toute leur potentialité ont ouvert la voie à une nouvelle génération de jeunes chercheurs. Shinya Yamanaka est de ceux-là. Né en 1962, chirurgien orthopédiste de formation, il s’enthousiasme pour la recherche fondamentale à l’université de Osaka et troque rapidement le scalpel pour la pipette. Il teste différents mélanges pour rajeunir en éprouvette, les cellules adultes d’un être humain donné. La biologie cellulaire est en effervescence. Dans les années 80, les chercheurs découvrent les cellules souches embryonnaires, dites multipotentes, capables dans un tube à essai de se transformer en toutes sortes de cellules: cœur, foie, cerveau, pancréas. Pourquoi ne pas cultiver et greffer ces cellules chez des malades du coeur, du foie, du cerveau….?

L’ère de la médecine régénérative à partir d’embryon est conceptualisée, avec deux limites, l’une éthique, qui est le problème d’instrumentaliser des embryons humains à des fins médicales ; l’autre, technique, est celle des rejets liés au fait d’utiliser un être différent (un embryon) susceptible d’être rejeté pour des raisons immunologiques. «Yamanaka va franchir un pas très important, en ouvrant la possibilité d’introduire dans l’individu malade des cellules saines qui dérivent de ses propres cellules, sans risque de rejet», explique le professeur Nicole Le Douarin (Académie des Sciences, Paris).

Vers la révolution de la régénérescence

Ce pas, le professeur Yamanaka, aujourd’hui âgé de 50 ans, le franchit en 2006, à l’université de Kyoto en parvenant à produire les premières cellules IPS: elles sont obtenues à partir de cellules adultes, qui grâce à des manipulations génétiques sont transformées en cellules souches, ayant les mêmes potentialités que les cellules embryonnaires, capables à leur tour de se métamorphoser en toutes sortes d’autres cellules. La cure administrée par le professeur Yamanaka et son équipe, un cocktail de gènes, permet de ramener ces cellules adultes au stade des cellules souches embryonnaires non encore spécialisées. On peut désormais se passer de l’embryon pour «récolter» les précieuses cellules souches.

«Ce prix Nobel est une excellente nouvelle. Yamanaka a créé le concept de reprogrammation cellulaire, explique le professeur Marc Peschanski (Istem, Inserm). Aujourd’hui, on a simplifié les procédures de reprogrammation des cellules. Notre équipe en particulier travaille avec des cellules sanguines, ou éventuellement des fibroblastes de la peau, pour les obtenir. Sur le plan thérapeutique, une équipe japonaise à Kobé vient de lancer un programme dans la dégénérescence maculaire liée à l’âge avec les iPS. L’autre grand intérêt des cellules iPS est la modélisation: on fabrique des lignées cellulaires à partir de donneurs atteints de maladies génétiques et on obtient des cultures permettant le criblage de molécules potentiellement thérapeutiques.» Le Nobel 2012 signe l’acte de naissance d’une révolution thérapeutique à venir basée sur le concept fou de «régénérescence».

Par Damien Mascret et Martine Perez